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« Pollueur-payeur » : un principe difficilement applicable

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La réhabilitation des friches industrielles polluées nécessite la mobilisation de moyens financiers importants. Entre 2001 et 2025, SPAQuE aura consacré quelque 500 millions pour réhabiliter friches industrielles et décharges à travers toute la Wallonie. On peut, légitimement, s’étonner de voir autant d’argent public consacré à éradiquer une pollution engendrée par les activités passées du secteur privé. Et le principe du « pollueur-payeur » nous objecte-t-on ? Pourquoi les pouvoirs publics ne réclament-ils pas aux pollueurs les sommes ainsi dépensées ? La réponse tient au principe lui-même : facile à comprendre, difficile à appliquer.

Pour mener les travaux de réhabilitation à bien, SPAQuE, expert et bras droit de la Région wallonne en la matière, dispose de budgets conséquents au travers du Plan Marshall, du Plan Marshall 2.vert, des fonds européens FEDER et de sa dotation. 500 millions d’euros, voilà le montant que SPAQuE aura dépensé – entre 2001 et 2025 et dans l’état actuel des prévisions – pour réhabiliter friches industrielles et décharges à travers toute la Wallonie. Un tel montant engendre des questions, notamment concernant le principe du pollueur-payeur et son application.

Le principe du pollueur-payeur nous dit que celui qui cause un dommage à l’environnement doit en supporter tous les coûts, que ce soit pour la prévention ou la réparation de ce dommage. En d’autres mots : qui pollue paie. Toutefois, aussi évident soit ce principe, son application n’est pas aisée.

Devenu, à la suite de l’Acte unique européen, entré en vigueur le 1er janvier 1987, l’un des principes fondamentaux de la politique environnementale européenne – le principe du « pollueur-payeur » est aujourd’hui consacré à l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – ce principe est également présent au niveau de la Région wallonne depuis 2004, où il est consacré dans l’article D.3. du Code de l’environnement1.

La définition du principe du « pollueur-payeur » est donc aisée. Mais là où les problèmes surgissent, c’est quand il s’agit de le mettre concrètement en œuvre.

Deux cas de figure peuvent, essentiellement, se présenter : une pollution contemporaine ou une pollution historique. La pollution historique du sol, définie dans le décret sols de 20082 et opérationnel depuis le 1er janvier 2013, est « une pollution du sol causée par une émission, un événement ou un incident survenu avant le 30 avril 2007 ». Et pour être tout à fait précis, le sol est « la couche superficielle de la croûte terrestre, y compris les eaux souterraines […] et les autres éléments et organismes qui y sont présents ».

Pollution contemporaine ou pollution historique, dans les deux cas, la difficulté réside dans l’identification du, ou des, pollueurs.

S’il s’agit d’une pollution exclusivement historique, donc antérieure au 30 avril 2007, comme c’est le cas sur quasiment tous les sites dont SPAQuE a la charge, la tâche va se révéler très ardue : la plupart du temps, le pollueur initial a purement et simplement disparu…

Plus ennuyeux encore : la pollution historique n’était généralement pas illégale lorsqu’elle fut produite. La conscience environnementale qui nous anime aujourd’hui et la législation qui en découle ne datent que des dernières années du XXème siècle ! Avant cela, les grandes industries, qui ont provoqué les pollutions les plus graves auxquelles on se trouve confronté aujourd’hui, étaient globalement libres d’agir comme elles l’entendaient : il était implicitement permis de polluer…

Identifier le pollueur n’est pas tout

Aujourd’hui, en Wallonie, seul le gouvernement – et par là même son administration – est compétent pour identifier un pollueur et établir sa responsabilité dans la survenance d’un dommage environnemental. Cette responsabilité établie, encore faut-il savoir ce que l’on peut lui réclamer, c’est-à-dire faire une évaluation du coût économique réel des dégradations environnementales qu’il a causées. Ce qui est tout sauf évident. En particulier lorsqu’on est confronté, par exemple, à une pollution multiple, c’est-à-dire qui n’est pas uniquement liée à l’action du pollueur poursuivi. Ou encore lorsqu’il s’agit de pollutions diffuses telles les retombées des cheminées d’usine sur les terrains avoisinants, parfois situés à plusieurs centaines de mètres de la source de pollution.

Enfin, faut-il le dire, tous les pollueurs que l’on peut retrouver ne sont pas nécessairement solvables : bien souvent, ils n’ont pas et ne pourront jamais avoir la capacité financière suffisante pour prendre en charge le coût environnemental de leurs actes… Sans parler du problème de la survie d’une entreprise condamnée à réparer, aujourd’hui et à grands frais, les dommages d’une pollution causée voici des dizaines d’années.

Bref, si la compréhension du principe du « pollueur-payeur » est aisée, son application en droit est beaucoup plus difficile. La Cour des comptes européenne l’a elle-même constaté dans un récent rapport3 consacré au financement de la dépollution des friches industrielles dans le cadre des fonds FEDER. « L’application du principe du pollueur-payeur pose d’impor­tantes difficultés dans la pratique. Il est souvent impossible d’exiger de la personne physique ou morale initialement res­ponsable de la pollution de prendre en charge le coût de la réhabilitation étant donné que, dans de nombreux cas, cette personne n’existe plus ou peut démontrer qu’elle a respecté les règles applicables au moment de la pollution«  peut-on y lire.

Quelles que soient ces difficultés, SPAQuE a, de tout temps, encouragé et soutenu toutes les actions entreprises par l’administration pour appliquer ce principe et, notamment, les actions judiciaires intentées à l’encontre des pollueurs identifiés.



1 Décret du 27 mai 2004 – Code de l’environnement, version coordonnée
http://environnement.wallonie.be/legis/menucode.htm

3 Cour des comptes européenne, Rapport n°23, 2012
http://eca.europa.eu/portal/pls/portal/docs/1/22042780.PDF